1990-2005 : le métissage et l'invention

Les jeunes qu'on voyait grossir les rangs des stages de musique ont fait leur chemin : le nombre de groupes de musique en Wallonie et à Bruxelles a explosé. On dénombre plus de 150 groupes créés entre début 1991 et début 2005. Bien sûr, tous n'ont pas survécu, certains groupes n'étaient que très temporaires, et certains musiciens font partie de plusieurs groupes. Il n'empêche, c'est un record.

Que font tous ces groupes ? Si quelques-uns d'entre eux ont répondu à l'appel de la tradition (wallonne ou celtique, généralement), il est frappant de constater la grande diversité des orientations musicales. Le multiculturalisme n'est plus un vain mot : des folkeux s'ouvrent à d'autres musiques (traditionnelles ou non) et les intègrent. On se mêle non seulement au rock (MacRahl, ...)  mais aussi au jazz (Traces, Alka Celtes Airs), aux sonorités orientales, aux percussions africaines (Afrolka), au flamenco (Dazibao), à la musique turque (Tan), ... Il devient (encore plus) naturel de s'intéresser aux musiques de traditions plus éloignées (autres que belge, française, anglo-saxonne voire scandinave) : la Galice très active (mais là on reste dans le monde celtique avec Ialma, Camaxe, etc), la musique turque ou maghrébine aussi, grâce aux musiciens immigrés  (cf. les ateliers - flamands, il est vrai - du Pianofabriek à St Gilles, et de De Centrale à Gand). Il est inutile de se demander si c'est positif ou négatif : le processus est en marche, irréversible. De nouvelles musiques sont en train de se créer, et il est difficile de les appréhender toutes sans être noyé dans l'immensité des “musiques du monde”, quoi que ce terme veuille dire.

Mais la nouvelle diversité ne veut pas seulement dire qu'on mêle des traditions parfois fort éloignées. Une série de musiciens veulent créer leur propre musique. Didier Laloy, Yves Barbieux (Urban Trad), Deux Accords Diront, Knopf Quartet, Sophie Cavez sont de ceux-là. Après s'être appropriés des instruments traditionnels, après avoir peu ou prou goûté à certaines traditions, ils élaborent leur propre sphère, quitte parfois à s'éloigner de plus en plus du folk. Certains pensent même révolutionner le monde en apportant des éléments qui étaient déjà présents ...

Tout cela donne lieu à de nombreux concerts. Avec, comme toujours en Wallonie, un manque d'organisateurs. C'est vrai qu'il n'est pas facile financièrement d'organiser des concerts folk, mais comment expliquer alors le nombre d'organisateurs (clubs et autres) en Flandre ? Faut-il donc absolument se faire reconnaître par les Tournées Art et Vie afin d'être subsidiable et ainsi pouvoir pousser la porte des centres culturels ?  (voir à ce sujet l'article d'Anne Mathurin, de Rif'zans l'Fièsse, dans CF201)

Il n'y a pas que les concerts, il y a aussi les bals. Mais là non plus, pas grand chose ne bouge. Au contraire de la Flandre et de ses “boombals”, dont le succès reflète le degré d'ouverture : un large public généralement jeune s'y amuse, souvent en dansant un peu n'importe comment. Cela fait penser aux bals folk des années 70, avec la différence qu'à cette époque peu de gens étaient capables d'expliquer comment danser. Aujourd'hui certains boombals sont précédés d'une initiation aux danses, mais certains de ces moniteurs amalgament des figures de différentes régions (ou pays) sans le dire, probablement même sans en être conscients. Même si la mode des boombals n'est pas encore arrivée en Wallonie, serait-on en train de commencer un nouveau revival mais moins régionaliste, plus universel, où ce qui reste des traditions risque d'être bel et bien perdu ?

Même si ce peut être perçu comme une simple anecdote, on lira avec curiosité comment des jeunes veulent danser un andro à la Tentation dans CF193. Dans un tout autre registre (celui des groupes de danse), on lira dans CF201 le souhait d'établir un répertoire international commun.

Les années 90 ont enfin vu quelques académies de musique s'ouvrir à la musique traditionnelle, grâce aux efforts de Jean-Pierre Van Hees. En particulier, l'académie d'Eghezée dirigée par M.Maréchal a donné naissance à plusieurs groupes (CF247). Voilà un travail certes utile, quoi qu'on puisse penser de ce mode de transmission.

Quant aux médias, s'ouvrent-ils plus au folk ? Pas vraiment hélas, si l'on excepte l'émission multiculturelle Le Monde est un Village, de Didier Mélon sur la Première (radio). Urban Trad, Didier Laloy et les Galiciens ont certes eu les honneurs de la TV, mais c'est plutôt l'arbre qui cache la forêt, de véritables phénomènes qui ne reflètent qu'une petite part de réalité. Remarquons tout d'abord qu'il est bien normal que des artistes au statut professionnel cherchent à faire parler d'eux. Ensuite, que le choix d'Urban Trad pour représenter la Belgique à l'Eurovision en 2003 a été pris par un nombre restreint de personnes de la RTBF, avec le succès que l'on sait : une magnifique seconde place, et un reportage qui montrait clairement le côté convivial de cette musique, à mille lieues des stars de pacotille fuyant les contacts. Du coup, beaucoup de non initiés s'étaient déplacés au Brosella pour les entendre. Cela aura-t-il une suite ? Et si oui, sera-ce autre chose qu'un attrait pour une musique métissée sur laquelle on danse n'importe quoi ? On pourrait se dire que, si l'on veut les honneurs des médias, il faut essayer de leur plaire et donc être dans l'air du temps ... Les traditionnalistes resteraient donc dans l'ombre, effectuant un travail de fond en espérant qu'il puisse servir à tous ceux que les “nouvelles musiques” attirent. Et en espérant que la relève suive, sous forme notamment de jeunes moniteurs de danse traditionnelle.

Dernière mise à jour : mars 2005